De nombreux mois plus tard, le Comte se tenait dans cette même pièce, à la fenêtre, le regard perdu dans le vague. Qu'il lui semblait loin le temps de cette soirée qu'il avait passée, à plancher sur le programme de la liste qui l'avait porté au pouvoir. Devenu Comte, puis GEF grâce à Rassaln, qui était apparu être son cousin, ainsi que Nebisa, avant de lui être brutalement arraché par la mort, il avait parcouru bien du chemin depuis son entrée en politique.
Parfois, dans son orgueil, il s'imaginait être l'une des personnes les plus puissantes du Royaume mais sa raison avait vite raison de ses rêves de grandeur. Revenu sur Terre, il ne se voyait plus que comme le maillon d'une machine plus ou moins bien huilée. L'agitation de la Cour et de Paris lui obscursissait parfois la vue et l'entendement mais il ny avait rien de tel qu'un séjour en Limousin, dans le château ancestral de sa famille pour retrouver les valeurs et principes perdus.
Observant le parc de Brassac noyé d'ombres fuyantes, il pensait à tout ce qui lui était arrivé depuis des mois. A la façon dont, petit seigneur de province, il avait gagné l'accès aux cercles les plus restreints du Royaume... du moins, se plaisait-il à le croire. Une idée en entraînant une autre, il pensa à Ann et au mariage qui s'annonçait, même si sa demande n'était pas officiellement formulée. D'après ce qu'il avait pu glaner ça et là, des rumeurs de leur union commençaient déjà à circuler dans les coulisses de la Cour.
Comme toujours en matière de femme, le doute l'assaillit. Déjà une fois, il s'était engagé et en avait souffert, trahi et blessé. Epouser la Princesse ne serait-il pas une nouvelle erreur. Sa carapace était aussi solide que la sienne mais sauraient-ils se faire confiance et partager leurs plus intimes secrets, en même temps que leur vie quotidienne ? Leurs différences, plus nombreuses que leurs points communs, ne vouaient-elles pas leur mariage à l'échec ?
D'un soupir, il se détourna de la fenêtre et de sa rêveuse contemplation et revint à son bureau. Il observa longuement le parchemin vierge, l'encrier et la plume qui l'occupaient, hésitant à se mettre à la rédaction de ce document pourtant indispensable. Il était d'humeur ce soir à écrire son testament, dût-il le changer dans quelques instants.